Hitchcock et la psychanalyse | Sueurs froides

Blog | Sophie Cohen psychologue Paris 5e

James Stewart a le vertige. Ou plutôt, il est acrophobe : il souffre d’une peur panique du vide et des hauteurs. Il était policier mais, rongé par la culpabilité après la mort d’un collègue tombé d’un toit alors qu’il essayait de le sauver, il a démissionné. « Seul un choc émotionnel pourrait me guérir », dit-il. Une de ses connaissances lui fait part de son inquiétude concernant sa femme, Kim Novak, au comportement étrange. Elle serait hantée par l’esprit d’une ancêtre. Le mari craint qu’elle ne mette fin à ses jours et demande à James Stewart de la suivre pour éviter le pire. Ce dernier accepte la mission, mais il a peur du vide… Il verra l’héroïne se jeter du haut d’un clocher, tétanisé, impuissant à éviter ce qu’il croit être un suicide. Plus tard, il rencontrera une autre femme, toujours Kim Novak, qui lui rappellera étrangement la belle au clocher.

La peur du vide est ici une peur de se jeter dans le vide, une peur de perdre le contrôle, de chuter.

L’angoisse du héros, par un effet miroir, trouve sa mise en acte chez l’héroïne : Kim Novak chute dans la baie de San Francisco avant de chuter du haut du clocher.

D’où viennent les phobies ?

Les phobies, peurs excessives, irraisonnées, peuvent s’attacher à tout ou presque : phobies d’animaux, de phénomènes naturels, de la profondeur, du noir, de l’eau, des transports, des tunnels, des ponts, des ascenseurs, du sang ; phobies liées à des situations collectives ou interpersonnelles…

Le DSM-5 – manuel américain des troubles mentaux – classe les phobies en quatre catégories : trouble panique avec agoraphobie, agoraphobie sans trouble panique, phobie spécifique, phobie sociale. Classement nécessaire mais pas suffisant : la diversité des causalités des phobies n’est pas mentionnée, ni interrogée la façon dont elles s’articulent avec l’histoire singulière d’un individu.

Pour Freud, la phobie est une forme d’angoisse qui s’est fixée sur un objet – dans le film, la peur panique du vide. Cet objet externe devient alors dépositaire de l’angoisse interne. En évitant l’objet, on réduit l’angoisse. La phobie peut devenir le pivot autour duquel l’individu organisera toute son existence, contraint de mettre en place de complexes stratégies d’évitement.

L’objet de la phobie n’a pas un sens propre. Il est investi d’un sens particulier pour l’individu concerné, il est inséré dans une histoire dont les fils doivent être démêlés. C’est à un travail de déliaison d’anciennes et coûteuses stratégies psychiques qu’il faut s’attacher.

En mettant l’accent sur les circonstances de l’apparition de la phobie, sur ce qui l’a rendue nécessaire, on évite de la voir réapparaître sous une autre forme. C’est le risque lorsque l’on se contente de l’éradiquer.

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Hitchcock et la psychanalyse | Pas de printemps pour Marnie

Blog | Sophie Cohen psychologue Paris 5e

Marnie vole dans la caisse des entreprises qui l’embauchent et ment à tous ceux qu’elle côtoie. Elle change de ville et d’identité et recommence à voler. Elle pourrait reproduire ce même scénario durant toute son existence si Sean Connery, nouvelle figure d’amoureux-guérisseur, n’avait décidé de la sauver. Marnie a vécu un traumatisme, c’est certain ! Il décide de l’aider à le retrouver pour la sortir de ce cercle infernal. L’événement traumatique, à l’origine de ses symptômes, est le souvenir d’une petite fille qui attend sa mère se prostituant dans la pièce voisine, seule, terrorisée, alors que l’orage éclate. Et qui tue l’homme qui brutalise sa mère. Une fois le souvenir retrouvé, elle n’est plus voleuse, elle n’est plus mythomane, elle n’est plus frigide et peut enfin s’abandonner à Sean Connery.

Le symptôme au centre du traitement

L’idée du film – l’héroïne sera guérie une fois retrouvées les circonstances du trauma dont découlent ses symptômes – est séduisante mais un peu facile.

Aux débuts de la psychanalyse, le moment de la formation du symptôme était bien au centre du traitement. De nos jours, l’approche psychanalytique ne vise pas uniquement à isoler et à traiter un symptôme mais préfère le considérer comme un signe, comme une « formation énigmatique ». En outre, le symptôme a une fonction. Car l’événement traumatique, clé de voute de l’intrigue dans plusieurs des films d’Hitchcock, passe par le filtre de la subjectivité d’un individu. Ce qui compte, c’est moins la réalité historique que la réalité psychique.

Une fois le symptôme encombrant disparu, un autre travail peut commencer, sur une autre scène. Travail qui vise à modifier, à déplacer ce qui a rendu nécessaire l’apparition du symptôme.  Et c’est là ce qui distingue l’approche psychanalytique d’autres types de thérapies.

Le cadre, la relation au thérapeute, favorisent le réveil de ressentis enfouis, nichés dans l’enfance, qui peuvent enfin refaire surface dans le cadre rassurant du cabinet. Sorte de laboratoire où peuvent se rejouer, pour mieux les dépasser, des peurs archaïques, des passions enfantines, où peuvent émerger des désirs délaissés.

Le chemin qui conduit à ces éléments refoulés est aussi important que le traumatisme en lui-même. Un individu singulier à un moment particulier de son existence a fait le choix, pour un motif qui lui est propre, d’emprunter ce chemin. Cette traversée de l’intime ne peut être la même pour tous.

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Hitchcock et la psychanalyse | La Maison du docteur Edwardes

Dans La Maison du docteur Edwardes, Hitchcock met en scène une vision délicieusement naïve et joliment dépassée de la psychanalyse. Ce qui n’enlève rien au charme de l’œuvre ni au génie du réalisateur !

Gregory Peck souffre d’amnésie, il risque d’être condamné pour un crime qu’il n’a pas commis. La psychanalyste Ingrid Bergman vole à son secours. Sa mission consiste à lui faire retrouver la mémoire, son identité et l’assassin du docteur Edwardes.

Gregory Peck et Ingrid Bergman sont, bien sûr, amoureux (love at first sight). Leur idylle, et la transgression d’une règle fondamentale, n’empêchent pas le traitement, au contraire. « Croyez-vous que vous m’aimerez quand je serai redevenu normal ? », demande le héros.

Ingrid Bergman poursuit Gregory Peck de questions insistantes destinées à réveiller une mémoire endormie, à retrouver un détail, une bribe d’un passé disparu. Elle soumet son patient à un traitement de choc – leur temps est compté, ledit patient risquant la chaise électrique – en le pressant de se souvenir de ce dont il ne se souvient pas… jusqu’à la syncope.

La psychanalyste comprend que son patient a formé un « souvenir écran », sorte de protection contre un autre souvenir, excessivement douloureux. Ils partent alors à la recherche de ce souvenir d’enfance, cause de tous ses malheurs.

Hitchcock met le rêve du héros au centre de l’intrigue : c’est en le déchiffrant que la psychanalyste découvre l’identité du meurtrier. Le rêve, rencontre d’une pensée consciente et d’un désir inconscient, est bien ici la voie royale vers l’inconscient

Les débuts de la psychanalyse

La psychanalyse des débuts utilisait l’hypnose, la suggestion ou la catharsis, comme méthodes thérapeutiques. Il s’agissait de faire revenir à la conscience un souvenir inconscient, d’en libérer l’affect, de faire parler le patient en lui faisant revivre l’émotion vécue. Ingrid Bergman se livre à un exercice proche de ce que l’on imagine être la méthode cathartique. Proche aussi de la suggestion, qui consistait en des sollicitations verbales insistantes, des idées fixes imposées au patient.

Freud part de la méthode cathartique pour s’en détacher. Il s’aperçoit que les souvenirs oubliés ne sont pas perdus mais qu’une force, la résistance, les oblige à demeurer inconscients. L’analyse est cette traversée des résistances. Très schématiquement, la relation à l’analyste réveille des affects de l’enfant que nous étions, ce qui entraîne des résistances : ces affects avaient été refoulés, c’est angoissant de les voir resurgir. La relation à l’analyste, qui est à la fois un point de résistance et le levier du changement, permet au patient de traverser ces résistances pour mieux les dépasser.

Freud renoncera ensuite à l’hypnose pour aller vers l’« association libre », la parole spontanée du patient.

La psychanalyse, en construction, connaîtra de nombreux remaniements, son initiateur n’ayant de cesse d’ajuster la théorie à la lueur de ce qu’il observera auprès de ses patients. C’est ce qui fait la richesse et l’originalité d’une discipline qui ne se fige pas dans un carcan dogmatique. La théorie reste en éveil, la pratique est en mouvement.

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En quoi l’écoute du psychologue est-elle thérapeutique ?

Contrairement à ce qui est montré dans cet extrait d’une série à succès, une « double consultation » n’est pas envisageable ! Non, le « psy » ne fait pas autre chose, alors qu’il vous écoute (liste des courses, SMS personnels, série sur Netflix…). L’écoute du psychologue se concentre sur l’ici et maintenant de la rencontre. Cet échange, ce temps de parole se déroule à une heure fixe et toujours au même endroit. C’est parce que le cadre est bien défini, qu’il est stable et que le thérapeute vous attend qu’un lien de confiance peut se créer. Le patient peut alors laisser libre cours au récit de ses souvenirs, de ses rêves, à l’évocation de ses affects, présents ou passés. Il peut confier ses craintes, ses fantasmes, livrer le connu, s’émerveiller de l’inattendu.

Toute la place est laissée à la parole qui peut se déployer librement. Le corps n’est pas en reste : il s’exprime souvent lui aussi durant les séances. L’« association libre », propre à la psychanalyse, incite à dire tout ce qui vient. Freud utilisait la métaphore du voyageur qui, dans un train, assis près de la fenêtre, doit décrire ce qu’il voit à un autre voyageur n’ayant pas accès au paysage. Le psychologuepsychanalyste est cet autre voyageur, il écoute le récit fait par le patient de son paysage psychique. Il fait partie du voyage, lui aussi, et prête une oreille attentive et active à la description qui lui est faite d’un paysage inconnu. C’est au patient d’en découvrir le sens, d’en déchiffrer l’énigme, tout au long de cette aventure à deux.

L’écoute est une expérience inédite, une rencontre dans l’espace et le temps de la séance ou de l’entretien. Elle requiert disponibilité, souplesse, juste distance. Et moments de silence, pour mieux écouter.

D’où vient la curiosité des enfants ?

Blog | Sophie Cohen psychologue Paris 5e

« Je ne suis pas historien de l’art. Je ne suis pas philosophe. Je ne suis ni latiniste ni helléniste ni archéologue ni psychanalyste. Je suis simplement un homme qui a beaucoup lu, un lettré ou, mieux encore, un littéraire, c’est-à-dire un homme qui apprend sans cesse à écrire ses lettres, à les déchiffrer, à les transposer, qui ne cesse de poursuivre cet apprentissage, qui aime follement lire, étudier, traduire, retraduire, écrire.

C’est ainsi qu’il y a un apprendre qui ne rencontre jamais le connaître – et qui est infini.

Cet infini est ma vie. »

Pascal QUIGNARD, Sur l’image qui manque à nos jours, Arléa, 2014

La curiosité de l’enfant, celle qui le pousse à apprendre à lire, à écrire, à se passionner pour un sport, une discipline artistique, pour les étoiles ou les dinosaures… est née d’un questionnement sans réponse. Sur l’origine de la vie, le sens de la mort. Les petits se posent souvent de grandes questions ! De là naîtront des désirs, indestructibles et présents tout au long de notre vie. Le désir d’apprendre, le plaisir de créer et de penser ne s’éteignent jamais.

La répétition

Blog | Sophie Cohen psychologue Paris 5e

Le fameux et redouté « Papa/Maman, comment on fait les bébés ? » serait, en fait, un questionnement sur la scène à l’origine de notre histoire, celle de notre conception. Sans réponse vraiment satisfaisante, l’enfant, devenu adulte, poursuivra cette quête, qui prendra la forme d’une recherche permanente et infinie. De là cette tendance à la répétition, chez chacun d’entre nous : nous répétons des situations, des choix amoureux, des échecs… Comme le retour incessant d’un désir antérieur. Mais la répétition est aussi une manière de se souvenir, une tentative d’élaboration, de résolution de « ce qui insiste ». Dans l’art, les séries, les séquences, les suites sont un procédé récurrent. Cézanne représentera plus de quatre-vingt fois la montagne Sainte-Victoire ; Monet, deux-cent cinquante fois des nymphéas ; Matisse peindra une série de nus bleus ; Warhol produira soupes, bananes, Marilyn en série.

Le monde en soi

Je vous conseille vivement ce court-métrage d’animation, pour son impact esthétique, sa justesse et sa force. Un stress excessif conduit cette jeune fille, étudiante aux Beaux-Arts, à faire un séjour en hôpital psychiatrique. Elle reprend pied, petit à petit, grâce à une boîte d’aquarelle offerte par un des résidents…

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À voir aussi, l’interview de la réalisatrice qui parle de ce qu’elle a vécu.

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