Anatomie d’une chute : chronique d’un désamour

Blog | Sophie Cohen psychologue Paris 5e

Un homme est retrouvé mort dans la neige, il est étendu aux pieds du chalet familial. Nous sommes en pleine nature, quelque part en France, près de Grenoble. Cet homme a une quarantaine d’années, une femme, un fils et un chien.

C’est son fils qui a découvert le corps en revenant d’une balade en forêt avec le chien. L’enfant doit avoir dix ou onze ans, il est presque aveugle. On apprendra qu’il s’est fait renverser par une voiture, petit, alors qu’il était sous la surveillance de son père. Le nerf optique a été endommagé, irrémédiablement.

On ne sait presque rien de cet homme. On sait qu’il enseigne, qu’il essaie d’écrire. Sa femme écrit elle aussi. Mais elle, elle a réussi : on l’étudie, on l’interviewe.

Comment cet homme est-il tombé depuis le balcon du dernier étage ? La femme, présente au moment de la chute, est accusée du meurtre de son mari. Commence alors son procès.

Le film Anatomie d’une chute, de Justine Triet, raconte à peu près ça. Sa force, c’est de ne pas imposer de lecture. Le doute subsiste longtemps, chacun est libre d’interpréter.

La violence de la désillusion

Le procès mettra au jour la vérité du couple. L’histoire d’un couple qui se déchire. Il n’a pas assez de temps pour lui, s’occupe de l’enfant, s’occupe de tout. Il a failli à son devoir de père lors de l’accident qui a coûté la vue à l’enfant. Elle a eu d’autres relations, notamment avec des femmes. Elle a récupéré l’idée d’un roman inachevé de son mari et se l’est appropriée. Mais ce n’est pas un crime.

La chute, c’est une métaphore de la fin de l’amour – brutale et inexpliquée. Personne ne s’y attendait, personne ne la comprend. Et pourtant, elle est là qui s’impose à tous, qui bouleverse les vies.

Il fallait ce corps qui tombe, cet arrêt sur image, pour qu’une vérité puisse enfin se dire.

Celui qui parle

C’est l’histoire de deux êtres qui ne s’entendent plus. Au sens propre : le film s’ouvre sur l’interview de la femme sur fond de musique assourdissante. Le volume est si fort que la femme décide d’interrompre l’échange. L’homme fait des travaux sous les combles, il sait que sa femme a besoin de silence, il pousse le volume, à l’excès. Sa chute aura lieu juste après.

Il n’y a pas d’issue à la parole empêchée.

Alors que le procès se termine, l’enfant du couple se souviendra d’une scène qu’il avait oubliée, qu’il avait refoulée. « C’est de sa bouche que la vérité de l’histoire, la vérité du procès, la vérité du destin, va sortir. Car, au terme du procès, le doute subsiste sur la cause de la mort de son père. […] La certitude sur la culpabilité ou l’innocence de la mère ne parvient pas à s’établir. […] L’enfant de dix ans va alors incarner le dépositaire de la vérité qui échappe à tous. […] Il est celui qui saura voir », dira la psychanalyste Clotilde Leguil (podcast à écouter ici).

L’enfant comprend soudain les mots du père, il se souvient d’une scène anodine, d’un trajet en voiture. Il comprend qu’il lui a parlé de son désir d’en finir, de son inquiétude envers lui, son fils aveugle, quand il ne sera plus là.

L’enfant restitue la parole du père. Il parle pour celui qui ne peut plus parler.