
« Romain Gary était un grand menteur. […] Il avait une façon très particulière de mêler la vérité et la fiction, ce qui lui a fait courir un très grand risque. Parfois, ça vous explose à la figure », dit Delphine Horvilleur à propos de l’auteur aux deux identités.
Romain Gary se suicide en 1980 ; il laisse un document posthume où il révèle qu’Émile Ajar, c’était lui. Personne ne s’en doutait. On lui a même décerné deux prix Goncourt – ce qui est interdit.
C’est l’entourloupe littéraire majeure du xxe siècle.
L’auteur se dédouble à 60 ans, l’âge qu’avait sa mère quand elle est morte. Ce nouveau personnage, elle ne l’aura pas connu, pas façonné. Il aura fallu soixante ans à Romain Gary pour s’inventer une autre vie, pour s’extraire du désir de grandeur de sa mère, de sa passion extravagante, de son amour fou.
Être un autre pour tenter d’exister, mais à quel prix ? « Il était là. Quelqu’un, une identité, un piège à vie, une présence d’absence, une infinité, une difformité, une mutilation, qui prenait possession, qui devenait moi. Émile Ajar », écrit-il dans Pseudo, un roman qui brouille les pistes.
Un jardin secret
À quoi ça sert de mentir ? À se protéger, à protéger l’autre, à fuir, à se fuir, à se créer un personnage, à s’approcher d’un idéal de soi.
Comme ce patient qui souhaite espacer les séances mais ne sait pas comment l’évoquer. Il doit rendre visite à sa sœur, me dit-il. Elle a accouché ce matin, il ne pourra pas venir en séance. Il oublie que nous avions évoqué cet événement familial trois mois plus tôt.
Mentir, c’est aussi ne pas tout dévoiler de son intimité, préserver un jardin secret.
Cette jeune patiente habite encore chez ses parents et vient en séance en cachette. Un jour, pourtant, elle décide d’en parler à sa mère… ce qui marquera la fin de nos rendez-vous. Mentir la plongeait dans un conflit de loyauté : elle risquait de perdre l’amour de sa mère.
La thérapie n’était possible que si elle demeurait secrète.
Freud dira que, plus l’analyse avance, moins le sujet est capable de mentir. L’inconscient, à travers ses formations – les rêves, les actes manqués, les oublis – va s’imposer à la place du mensonge. Mentir, c’est convaincre l’autre et se convaincre de quelque chose qui ne peut pas être modifié. C’est éviter que le contenu refoulé puisse être transformé.
En se libérant, la parole ouvre la voie à une vérité, la vérité du désir.