La musique et l’ineffable

Blog | Sophie Cohen psychologue Paris 5e

« D’une manière assez analogue à celle concernant l’écoute analytique, l’écoute musicale est une forme d’interprétation de l’œuvre écoutée. De même que les musiciens sur scène éprouvent la qualité d’une écoute, le patient vient chercher chez son thérapeute une certaine qualité d’écoute. »

Vincent ESTELLON, « La Musique des mots à l’épreuve de l’écoute en psychanalyse », revue Topique, 2014

« Une certaine qualité d’écoute » passe, pour le thérapeute, par sa capacité à se laisser surprendre par la parole énoncée. À ne pas coller à ce qui est dit, à laisser la place à l’imaginaire. Et à trouver le sens, ensemble. Celui qui parle devient une part de l’espace psychique de celui qui écoute. Celui qui écoute laisse son empreinte, « une part de soi dans la vie des autres » – l’expression est de la psychanalyste Danièle Brun.

La musique est un au-delà des mots, elle « se meut sur un tout autre plan que celui des significations intentionnelles, écrit le philosophe Vladimir Jankélévitch. [Elle] est un miracle continué qui à chaque pas accomplit l’impossible » (La Musique et l’Ineffable, Seuil, 1961, p. 26-28).

La musique nous renvoie à l’archaïque, à l’avant-langage. Le bébé est sensible à la voix, aux sons, dès la vie in utero. La voix de la mère qui chante l’apaise, le berce, l’endort. À son tour, le bébé « babille », il vocalise, imite la parole, fait l’expérience des sons.

Le bébé n’a pas de mots pour décrire ses expériences, ses émotions. Des éprouvés indicibles qui doivent être dits par la mère, le père – la personne qui s’occupe de lui. Par un effet miroir, le bébé traduit ensuite à sa mère ce qu’il a reçu d’elle.

Chez l’adulte, lorsque la couleur de l’affect s’estompe, la musique remplace l’éprouvé, la parole même. « La musique dit en chantant ce que le verbe dit en disant », écrit Jankélévitch (p. 25). Elle sert de médiateur : on peut être ému en écoutant un morceau ; c’est permis, moins dangereux qu’en exprimant ce qui nous touche.

La musique est l’expression d’un affect brut, non élaboré, qui arrive en bordure de la conscience, cherche une forme. Comme le cri du bébé.