
C’est un titre en forme d’interrogation : nom ? Ou d’ordre : nom ! Un titre qui peut s’entendre comme une négation, comme un « non ». C’est un titre fort et concis, qui dit et qui s’abstient, à l’image du texte de Constance Debré (Nom, Flammarion, 2022).
C’est après avoir terminé l’ouvrage qu’il faut lire l’épigraphe, c’est là qu’on la comprend :
« Là où la psychanalyse dit : Arrêtez, retrouvez votre moi, il faudrait dire : Allons encore plus loin, nous n’avons pas encore trouvé notre corps sans organes, pas assez défait notre moi. Remplacez l’anamnèse par l’oubli, l’interprétation par l’expérimentation. […] »
Gilles DELEUZE et Félix GUATTARI, Mille Plateaux
Voilà, c’est ce que traverse la narratrice, la discipline qu’elle s’impose.
Déconstruire
Ne pas interpréter mais expérimenter. Pas de psychanalyse, surtout pas, mais la natation, comme une drogue. Pas de domicile fixe mais l’appartement des autres ou les chambres de bonne, jamais les mêmes. Et l’amour physique dans les bras « des filles ». Quid de ce « corps sans organes » qu’il faudrait trouver ? L’idéal d’un corps sans affects peut-être, coupé de ce qui fait mal.
Ne pas s’arrêter, ne pas « retrouver son moi » mais le déconstruire, comme elle a déconstruit son genre, son statut social, son apparence, ses phrases.
Elle se sauve de la folie familiale, devient autre.
Elle n’appartient à rien, à personne, paye au prix fort – elle est séparée de son fils – cette recherche d’une vérité.
« […] je suis pour l’abolition de la filiation, je suis pour l’abolition du nom de famille, […] je suis contre le domicile, la nationalité, je suis pour la suppression de l’état civil, je suis pour la suppression de la famille, je suis pour la suppression de l’enfance aussi si on peut » (p. 107).
Le nom du père
Le nom, c’est celui de son père qui est en train de mourir. La mort du père comme un fil rouge, tout au long de l’ouvrage. Un fil tendu, tenu, qui la rattachait à sa famille ; elle n’a que peu de rapports avec sa sœur, sa mère est morte d’une overdose quand elle avait seize ans. Ses deux parents se droguaient, buvaient, étaient accros aux médicaments.
L’auteure était proche de son père, ils étaient complices, ils n’avaient pas besoin de beaucoup parler pour se comprendre. Elle s’identifie à ce père journaliste, écrivain, à part dans une famille de grands bourgeois qui compte plusieurs ministres.
La mort de son père, elle la relate avec précision, sans affect, de l’extérieur.
« Je ne sens aucune douleur, je sens le contraire de la douleur » (p. 157).
Le fil est cassé.
Écrire
Constance Debré aurait pu sombrer, partir à la dérive. S’enfermer.
Mais elle écrit.
Déconstruire, couper les liens, mais écrire, analyser. Elle n’est pas ce seul corps qui bouge et qui jouit.
En écrivant, elle ouvre un espace intérieur, un espace pour la pensée, pour la créativité.
Elle redevient sujet de son histoire. Elle raconte son enfance chaotique, les appartements qu’on quitte par manque d’argent, la drogue. La beauté de sa mère. « […] il y avait quelque chose d’effrayant dans sa beauté, pour tout le monde, pour elle-même aussi. Quand elle vient me chercher à l’école, […] c’est ça que je vois. Elle au milieu des autres mères, normales et ridicules […] » (p. 18-19).
Aimer
Camille apparaît sous la forme d’une initiale, un « C. » que l’auteure parsème sans en dire davantage.
Puis vient le récit de leur rencontre. La narratrice s’est installée dans la maison de son père qui meurt ; elle est là, près de lui. Ils échangent quelques mots, très peu. Elle se lève toutes les nuits pour doser les perfusions. Sa sœur passe dans la journée. Mais c’est avec elle qu’il mourra, une nuit, elle le sent.
C’est après l’enterrement que l’histoire commence : « Le mot amour, bien sûr, n’est jamais prononcé » (p. 158).
Elle peut voir son fils à nouveau.
Cet amour qu’on ne dit pas, cette place pour un autre que soi-même, ce fil qu’on tisse, c’est le lien retrouvé.