
Christine Angot, dans Le Voyage dans l’Est (Flammarion, 2021), parle de l’histoire de ses parents, de sa rencontre avec un père qu’elle ne connaissait pas, à l’âge de 13 ans. Des viols et de la domination qu’il a exercés sur elle, durant des années.
À travers une écriture crue, précise, sans affect, au plus près de la vérité, l’auteure nous fait vivre ce qu’elle a vécu. L’ouvrage n’est pas d’une lecture facile.
L’inceste
L’inceste que son père lui a fait subir est un thème qu’elle avait déjà abordé. Comme si, dans la répétition de son histoire, elle cherchait quelque chose de nouveau, d’inédit.
En écrivant, elle réinterprète le passé et permet l’avenir. La littérature devient lieu de liberté.
Elle parle aussi de sa solitude, de son entourage qui n’intervient pas. Sa mère, sa demi-sœur, la femme de son père, et plus tard son mari, tous sont au courant. Mais personne n’intervient.
À l’époque où se déroule l’inceste, la question du consentement du mineur se pose encore. Mais qu’en est-il du désir d’une enfant sous emprise ? De l’amour passionnel d’une jeune adolescente envers un père jusque-là inconnu et idéalisé ?
« On a frappé à la porte. Mon père est entré. L’image que j’avais élaborée, à partir de la photo que je connaissais, ne correspondait pas à la réalité. Je n’avais vu ce genre d’hommes qu’à la télévision ou au cinéma. […] Je me suis jetée dans ses bras, en pleurant, la respiration hachée par les sanglots.
– Je suis contente de te connaître. Je pleure, mais c’est parce que je suis contente. Je suis contente… » (p. 9).
Le parent incestueux
Le parent incestueux n’a pas de profil type, selon la psychanalyse qui préfère s’intéresser aux différences inscrites dans chaque histoire individuelle.
On peut cependant distinguer certains invariants. La dimension pédophile en fait partie. Le fait que la grande majorité des parents incestueux ne passe à l’acte que sur ses enfants aussi.
Autre invariant, la dimension perverse de l’acte. La structure du parent, quant à elle, n’étant pas forcément perverse. Les barrières entre enfant et adulte, entre enfant et parent, sont abolies. C’est le règne de l’indifférencié, de la confusion.
La victime devient une chose, un non-sujet. Les conséquences de l’acte ne sont pas reconnues. Pas de honte, pas de culpabilité. La différence de générations est ignorée.
« L’inceste, écrit Christine Angot, est un déni de filiation, qui passe par l’asservissement de l’enfant à la satisfaction sexuelle du père » (p. 189).
Les mots pour le dire
La littérature comme la psychanalyse sont des lieux qui donnent vie à la parole.
Une parole qui permet de nommer l’intolérable. Nommer pour donner forme à ce qui n’existe qu’à travers la souffrance, à travers le symptôme. La parole permet de devenir protagoniste de ce qui a eu lieu. D’amoindrir la – nécessaire – mise à distance. De faire émerger l’affect.
La parole libère de la faute, de la culpabilité ; le statut de victime peut être envisagé.
« [L’inceste,] ça détricote les rapports sociaux, le langage, la pensée… vous ne savez plus qui vous êtes, lui, c’est qui, c’est votre père, votre compagnon, votre amant, celui de votre mère, le père de votre sœur ? L’inceste s’attaque aux premiers mots du bébé, papa, maman, et détruit toute la vérité du vocabulaire dans la foulée » (p. 190).
La parole permet d’exister.