
Qu’est-ce qui nous pousse à créer ?
Selon Freud, les activités que nous désignons comme « créatives » sont le résultat de la sublimation.
La sublimation, telle qu’elle est définie par Jean Laplanche et Jean-Bertrand Pontalis (Dictionnaire de la psychanalyse) est un « processus […] pour rendre compte d’activités humaines apparemment sans rapport avec la sexualité mais qui trouveraient leur ressort dans la force de la pulsion sexuelle. Freud a décrit comme activités de sublimation principalement l’activité artistique et l’investigation intellectuelle. »
La sublimation serait ainsi une pulsion sexuelle sans but sexuel. Dérivée de son but, la pulsion devient socialement plus élevée, elle fait l’unanimité.
À l’origine de la sublimation se trouve le renoncement : une pulsion qui n’est pas satisfaite, parce qu’empêchée, est transformée. Les raisons de cet empêchement sont multiples : il peut s’agir d’un empêchement symbolique (l’interdit de l’inceste), d’un empêchement interne lié à la peur que la pulsion ne se réalise…
Une pulsion qui n’est pas satisfaite devient symptôme ou est sublimée.
C’est donc une poussée pulsionnelle qui permet de créer, de penser, d’écrire au nom d’un renoncement.
La sublimation au fil des âges
À partir de l’observation du jeu chez l’enfant, le pédiatre et psychanalyste Donald Winnicott écrit : « […] c’est en jouant, et peut-être seulement quand il joue, que l’enfant ou l’adulte est libre de se montrer créatif » (Jeu et Réalité).
Au sortir de la phase dite « œdipienne » et avant la puberté, se trouve chez l’enfant ce que Freud appelle la « phase de latence ». Ce moment où il est curieux de tout, où il apprend à lire, à écrire est aussi le début de la sublimation. L’enfant se déprend de l’amour passionnel pour ses parents en le canalisant, en le transformant.
Viennent ensuite la puberté, les bouleversements du corps, la montée de la sexualité. Les adolescents s’adonnent alors à des activités leur permettant de sublimer. L’intensité de leur pratique en dit long sur la force de la pulsion…
L’adulte qui vieillit voit le retour des flambées pulsionnelles, comme à l’adolescence. C’est la midlife crisis et la période du « démon de midi », celle où l’on se découvre une vocation, où l’on décide de changer de vie. Comme pour retarder l’inévitable déclin.
Une vie pour l’art ?
Mais l’acte créateur poussé à son paroxysme peut être destructeur. « Vissi d’arte », se lamente la Tosca de Puccini en s’adressant à Dieu. « J’ai vécu pour l’art, j’ai vécu pour l’amour […], pourquoi me récompenses-tu ainsi ? »
La création artistique ne connaît pas de répit. Il y a ce sentiment chez l’artiste qu’il peut toujours mieux faire. L’acte créateur peut aussi isoler, laisser peu de place à l’autre. Alors que la pulsion sexuelle mise en acte, elle, arrive à un moment de sédation.
La parole qui se déploie en thérapie analytique résulte, elle aussi, de ce processus de sublimation.
Sublimer, c’est avoir accès à la pensée et à la création.
C’est se sentir réel, vivant.