
« L’époque est à la colère et à la révolte quant à ce qui est fait du corps des femmes, mais elle est aussi à la libération d’une parole autre via l’écriture, via la littérature, qui tente de cerner ce qu’il y a d’indicible dans la question de l’amour, du désir et de la jouissance. […] Qu’est-ce qui me conduit à donner mon consentement ? Quel est ce mouvement qui part du plus intime du sujet, de ce qui est éprouvé dans le corps, et conduit à s’en remettre au désir d’un autre pour rencontrer son propre désir […] ? »
Clotilde LEGUIL, Céder n’est pas consentir, PUF, 2021
Le consentement est un monde intime et mystérieux. Il interroge la vérité du sujet, dit quelque chose de l’infantile, du rapport au désir.
S’interroger sur le consentement révèle toute la fragilité et l’ambiguïté de ce « oui ». Il peut s’agir d’un « oui » contraint qui s’apparente à un « non » : on ne veut pas mais on se résigne. Pour ne pas provoquer la colère de l’autre, pour que ça se termine au plus vite. Le consentement se situe alors dans une « zone grise » difficile à définir.
Dans le cas de l’emprise d’un individu sur un être vulnérable – d’un abus de faiblesse –, la question se complexifie. Il peut, en effet, y avoir consentement de la part de la personne abusée. Et c’est là toute l’ambiguïté d’un consentement qui se croit amour véritable, réelle attirance.
Car qu’en est-il de la vérité du désir d’un sujet sous emprise ?
Le récit de Vanessa Springora
Souvent, un abus sexuel n’est pas vécu comme tel sur le moment mais seulement dans l’après-coup. C’est ce qu’explore Vanessa Springora dans son récit Le consentement. Elle relate comment, à l’âge de quatorze ans, elle a cédé aux avances d’un homme de cinquante ans, flattée par l’intérêt que lui portait cet écrivain célèbre. La jeune fille ignorait tout de la réputation sulfureuse de l’homme qui l’a séduite, qui jetait son dévolu sur de très jeunes filles vulnérables, aux parents complices ou dépassés. Élevée par une mère trop jeune et par un père qu’elle n’intéresse pas, elle voit en lui son premier grand amour, croit se consoler dans ses bras d’une enfance solitaire : « Depuis que mon père a disparu des radars, je cherche désespérément à accrocher le regard des hommes », écrit-elle.
Avec force et justesse, Vanessa Springora met en cause son milieu et regrette, rétrospectivement, de ne pas avoir été protégée par les adultes qui l’entouraient : « Dans notre environnement bohème d’artistes et d’intellos, les écarts avec la morale sont accueillis avec tolérance, voire avec une certaine admiration. […] Dans un tout autre milieu, où les artistes n’exerceraient pas la même fascination, les choses se seraient sans doute passées autrement. Le monsieur aurait été menacé d’être envoyé en prison. La fille serait allée voir un psychologue […]. »
Grâce à l’analyse et à l’écriture, elle retrouvera, bien des années plus tard, le moyen d’accéder à sa propre histoire, d’en redevenir le sujet.