
« Pourquoi oublie-t-on précisément ce que l’on ne doit pas oublier ? », s’interroge l’auteure de cette chronique, alors qu’elle a oublié son rendez-vous chez le médecin. Ce rendez-vous était tellement important qu’il lui semblait évident. « Car l’évidence, on n’y pense jamais », poursuit-elle, pour conclure : « L’inoubliable s’exhibe tellement qu’on ne le voit plus. » Ce que l’on oublie n’est pas caché mais trop visible, dit-elle en substance.
Rien à voir avec un acte manqué, donc…
Car, pour parler d’acte manqué, il faut adhérer à l’hypothèse de l’existence d’un inconscient. Selon le philosophe Robert Misrahi, « nous sommes toujours conscients, présents à nous-même. L’inconscient n’est que le nom que nous donnons à nos obscurités, à nos complicités, nos passivités et nos ignorances. »
Pour Freud, en revanche, l’acte manqué est une formation de l’inconscient qui vient dire une vérité à l’insu du sujet. Ce que l’on oublie n’est pas éjecté hors du psychisme – dans le meilleur des cas – mais a été refoulé. Le refoulement est une défense, une manière de se protéger. D’une pensée, d’une image, d’un souvenir inacceptables pour le psychisme et qui passent dans l’inconscient.
Oublis, lapsus, actes manqués : une satisfaction inconsciente
Mais ces « signes qui nous échappent » ont aussi une fonction. Cet échec cuisant, cet oubli impardonnable, ce lapsus prononcé juste au mauvais moment, s’ils semblent déplaisants au sujet, participent en fait de sa satisfaction pulsionnelle. Satisfaction et déplaisir cohabitent en un équilibre que vient rompre l’excès, le trop-plein : être toujours en retard à ses rendez-vous, oublier chaque année les anniversaires de ses proches, se tromper systématiquement de chemin est alors perçu comme un symptôme encombrant.
Dans Le temps gagné l’essayiste Raphaël Enthoven relate comment, alors qu’il doit déposer son premier article au siège d’un magazine prestigieux, il se trompe d’adresse, confondant les numéros. Il découvrira que cet immeuble où il arrive en retard est celui dans lequel il a habité étant enfant…
Les oublis, les actes manqués, les lapsus – comme les rêves ou les symptômes – s’inscrivent dans une histoire personnelle, surgissent dans un contexte particulier, à un moment singulier. Ils ne peuvent, à ce titre, supporter les interprétations sauvages, les généralités, les certitudes. Grâce au cadre de la thérapie analytique, à la relation qui s’y crée et à la liberté de parole qui s’y déploie, le sujet peut s’approcher de ces manifestations énigmatiques, donner du sens à ces morceaux de vérité.