
Au théâtre, on fait « comme si c’était vrai ». Il s’agit d’une illusion, de l’illusion du réel. Le public est lui aussi engagé dans cette fabrication de l’illusion : tout le monde sait bien qu’il n’y a pas de lac en fond de scène. On peut être bouleversé par ce qui arrive au personnage, comme si c’était la vérité, que cela lui arrivait véritablement. Car de cette situation fictive surgissent des sentiments bien réels.
Ces sentiments réels sont éprouvés par des comédiens, interprètes et passeurs, à destination d’un public. Public qui n’est pas dupe : il sait reconnaître un comédien qui « joue faux », qui fait semblant. Sur scène, lorsque l’intention du comédien est juste, le sentiment exprimé l’est aussi. La rencontre peut alors avoir lieu entre ce qui se passe sur scène et la salle.
« Il ne s’agit pas, au théâtre, de défendre une pensée ; il s’agit de proposer une expérience de la polyphonie, de l’altérité, dans laquelle chacun reçoit ce qui est dit d’une façon qui lui est propre », dit le dramaturge Florian Zeller.
Le spectateur vient vivre d’autres vies que les siennes, et s’en trouve changé. L’illusion produite par et dans l’espace scénique conduit chacun, de manière singulière, vers une vérité.
Le changement provient du contact avec cette vérité.
De la scène au divan
On pourrait comparer le dispositif théâtral avec la situation analytique et avec ce qui en fait la spécificité : le travail sur le transfert. Le transfert est la projection, inconsciente, de sentiments appartenant au petit théâtre privé du patient sur la personne de l’analyste. Il est un déplacement, une illusion, et pourtant, la vérité du sentiment est bien réelle. En tant que patient, je me sens réellement anxieux lorsque l’analyste m’annonce son absence prochaine, réellement jaloux du temps qu’il consacre aux autres.
Le cadre bien défini et rassurant de l’analyse – ou de la thérapie analytique – permet de travailler sur ces sentiments, d’accéder aux souvenirs, aux rêves, à ce qui échappe. Ce qui n’était pas conscient le devient. Ce qui fait souffrir et qui se répète peut être élaboré et dépassé. Le patient élargit le champ de sa conscience et s’approche de ce qui fait sa singularité, de sa vérité.
Le changement provient du contact avec cette vérité.
Le psychanalyste Thomas H. Ogden écrit : « […] qu’elle soit un corpus d’idées ou une méthode thérapeutique, la psychanalyse est d’un bout à l’autre un processus nous conduisant à penser et à re-penser, à rêver et à re-rêver, à découvrir et à redécouvrir. »
La rencontre entre un patient et un analyste est marquée par l’empreinte d’autres rencontres appartenant au passé. Elle ouvre cependant sur l’inconnu et sur l’actuel.