L’angoisse de séparation

Blog | Sophie Cohen psychologue Paris 5e

« Je fais partie de ces gens qui ne savent pas dire “au revoir”, qui prolongent, qui oublient, qui se reprennent. Et si on ne se revoyait jamais ? Et s’il n’y avait pas de “re” dans nos “au revoir”, aucun retour, aucune retrouvaille ? », avoue l’auteure de cette chronique. Elle enchaîne sur « la difficulté qu’il y a à se séparer, peut-être même l’impossibilité de se quitter. » Et poursuit : « On a beau se dire “au revoir”, se le répéter, c’est comme si l’idée même de se revoir avait disparu. »

C’est l’aspect définitif de cet au revoir qui est craint. Se dire au revoir de manière définitive, se dire adieu donc, nous renvoie à la séparation irrévocable par excellence, celle que nous impose la mort. D’où l’angoisse qui peut surgir lorsque l’on se quitte : se séparer, c’est risquer de ne plus jamais se revoir.

Car bien qu’elle jalonne tous les âges de l’existence, la séparation ne va pas de soi. Elle suppose de pouvoir intérioriser, en quelque sorte, celui ou celle dont on se sépare.

L’angoisse de séparation du bébé

L’angoisse de séparation est un phénomène bien connu de ceux qui côtoient des bébés. Les réactions d’angoisse liées à l’absence de la mère sont présentes à partir de sept mois. Vers huit mois apparaît la « peur de l’étranger » : le bébé ne sourit plus au tout-venant et accueille les visages étrangers par des pleurs, signe qu’il a intériorisé l’image de sa mère. Ce n’est pas tant ce visage étranger qui provoque ses pleurs, que le fait qu’il signifie l’absence de sa mère.

L’angoisse de séparation du petit homme diminue vers vingt-quatre mois. L’enfant se détache alors progressivement du besoin de perception de sa mère – ou de la personne qui s’occupe de lui – pour pouvoir se la représenter mentalement. De nouvelles compétences se manifestent, le langage notamment, ainsi que de nouveaux intérêts. L’enfant se socialise et devient autonome.

Pour se séparer, il faut se différencier

Cette angoisse de séparation « développementale » a donc tendance à diminuer avec l’âge et avec l’autonomie croissante de l’enfant. Mais que faire, une fois adulte, de cette incapacité à passer de la présence à l’absence de la personne aimée ? De l’impérieuse nécessité d’appeler l’autre pour se sentir vivant ? De cette détresse devant l’angoisse de perte d’amour ?

Car c’est bien de cela dont il s’agit : de l’angoisse de perdre l’amour de ceux qu’on aime. D’où cette tendance chez certains à quitter avant d’être quittés, à abandonner plutôt que perdre.

La capacité à se séparer pourrait constituer le but de toute thérapie analytique, qui permet la différenciation, individue le désir propre. Pour se séparer, il faut se différencier. La psychanalyste Catherine Chabert écrit : « Accompagner, c’est être à côté, comme l’analyste à côté et aux côtés de l’analysant, c’est être différent aussi, c’est-à-dire ne pas se confondre, ne pas de mélanger, ne pas se substituer. »

La différenciation ne va pas de soi, elle est à conquérir tout au long de la vie.